D’abord les masques – un peu timidement – puis les premières sorties et cette semaine les premiers spectacles. Alors que Shanghai se referme sur elle-même et que les chiffres en France donnent le tournis, nous vivons ici une accalmie relative qui permet à l’école de fonctionner presque comme avant. Il y a pourtant deux ans tout juste, New York était l’épicentre de la pandémie. Nombreux sont les membres de notre communauté à être tombés malades, parfois très sérieusement. Les professeurs se sont retrouvés coincés chez eux pour donner leur cours, sans matériel, sans préparation, sans modèle. Devant tous ces chamboulements (la maladie, les déménagements,…) on a attendu des enfants qu’ils se concentrent devant leur écran, on a attendu d’eux qu’ils fassent “comme si”. Comme si c’était l’école, comme si tout allait bien, alors qu’ils sentaient l’angoisse montante des adultes.
Les sirènes, les hôpitaux de campagne, les nouveaux rituels – ne plus rien toucher, tout désinfecter – les injonctions contradictoires et incessantes, les statistiques effrayantes, le travail depuis la maison, l’absence d’horizon, l’inquiétude pour ses proches. A mon arrivée à New York en août 2020 le pire était largement passé mais le choc vécu était palpable. Les grilles baissées des magasins, les avenues vidées, le silence assourdissant : la ville qui m’avait, touriste, à la fois épuisé et énergisé, s’était métamorphosée. On se trompe en pensant qu’il suffit de regarder CNN pour se connecter au monde. Depuis Taiwan je n’ai pas pris la mesure de ce que vous les New Yorkais aviez vécu.
Je sais bien que dans l’ensemble notre communauté a traversé cette crise mieux équipée que biens d’autres. Que certains ont pu partir à la campagne ou rejoindre leurs proches, qu’ ils ont pu continuer à travailler dans de bonnes conditions, avoir de l’aide pour s’occuper des enfants et les faire étudier. Mais je n’oublierai jamais cette pré-rentrée 2020, quand naturellement un peu stressé à l’idée de commencer dans un nouvel établissement, je me suis peu à peu rendu compte de ce qu’avait été le quotidien des collègues. Certains témoignages, pourtant souvent racontés avec un certain humour – sans doute pour permettre le recul nécessaire – étaient bouleversants. L’atmosphère dans la salle était particulière, entre joie de se revoir après de longs mois et peur d’être ensemble, d’être trop près les uns des autres, partagés entre la peur et l’envie de faire équipe.
Deux ans plus tard, nous continuons à vivre dans l’après mars 2020. On a pris de nouvelles habitudes – les rencontres parents professeurs en Zoom, par exemple, ne surprennent personne. On a toujours un masque sous la main – ce qui est mieux que sous le menton sans doute. On sursaute dès qu’un voisin toussote, on court se mettre un coton tige dans le nez au moindre symptôme. Nous voyons le COVID partout, même quand il n’est plus vraiment là, même quand il a pour l’heure choisi un autre terrain de jeu.
Et deux ans plus tard, il y a, bien sûr, les enfants. Nous aimons tant penser que nous pouvons les protéger de tout. A The École nous travaillons d’arrache-pied pour qu’ils puissent dire comme dans la poésie : allez hop dans le placard les cauchemars ! Ce n’est pas toujours aussi simple et les réponses à apporter dépendent grandement de leur âge et de leur parcours. Mais nous prenons chaque jour mieux la mesure du travail qu’il nous reste à mener pour que les conséquences de ce mois de mars 2020 soit, sinon oubliées, du moins guéries.