Philippe, qui a donc officiellement rejoint l’équipe cette semaine, aimerait bien proposer aux collégiens l’an prochain un cours d’éducation à la finance. Je me suis donc penché un peu sur les contenus proposés en France sur ce thème et je me suis aperçu qu’il est recommandé aux professeurs d’apprendre aux élèves à lire un relevé bancaire en utilisant comme support La Parure de Guy de Maupassant (une nouvelle bien connue de nos élèves de 4ème grâce à M.Le Martelot)
Depuis que je travaille à The École, je suis amené très souvent à réfléchir à ce qui fait la différence entre l’éducation à la française et l’éducation à l’américaine, un sujet que j’abordais par exemple déjà un peu ici. Cette période de l’année y est particulièrement propice puisque c’est en général le moment où nous parviennent de France les dernières réformes et les changements de programme qu’il nous faudra mettre en place. Or c’est déjà bien là une première différence entre les deux systèmes éducatifs : en France tout est centralisé et le programme s’adresse à tous les élèves du territoire (et dans notre cas, au-delà).
Quand j’étais petit en France, nous avions seulement trois chaînes de télévision. Notre choix était donc limité et tout le monde regardait de fait la même chose au même moment. Nos conversations dans la cour d’école tournaient autour de ce que nous avions tous vu la veille : le coup franc de Michel Platini, le dernier épisode de Starsky et Hutch ou encore Récré A2, une émission que tous les enfants regardaient religieusement. C’est exactement ce qu’il se passe avec les programmes français de l’Education Nationale : ils constituent une sorte de socle commun, de connaissances obligatoires, une culture générale partagée. Comme si tout le monde regardait la même émission à la télévision et en parlait le lendemain à l’école.
Je ne vous apprends rien en vous disant que le câble et internet ont sérieusement remis en question ce schéma là : nos choix sont aujourd’hui quasiment illimités, nous pouvons regarder une série entière en deux jours ou regarder un film quand bon nous semble et sur un téléphone si cela nous chante, les chaînes d’information polarisées sont devenues la règle. Seuls les grands événements sportifs (et une éclipse solaire ou la sortie du dernier album de Taylor Swift) sont aujourd’hui des occasions de rassemblement et d’expériences vécues en commun.
Dans ce contexte, les programmes français sont presque devenus une anomalie, une tentative surannée et quasi romantique de faire lire le même livre à tout le monde et en même temps. Je doute que Philippe avait en tête les affres de Mathilde Loisel lorsqu’il me parlait de son cours d’éducation à la finance (plus sûrement il me parlais d’actions/stocks, d’obligations/bonds et de crédit, le tout dans un français teinté d’anglicismes tous les deux mots). Et pourtant on ne peut s’empêcher d’admirer cette foi et cet espoir dans l’idée d’une destinée commune, d’un chemin que nous devons faire ensemble.
Parfois lorsque je reçois les dernières directives venues de France, je m’arrache le peu de cheveux qu’il me reste en me demandant ce à quoi cela pourrait bien ressembler dans notre contexte américain. Mais toujours je garde à l’esprit qu’au-delà des consignes et des dispositifs se cache le rêve de proposer une culture commune, un moment où nous regardons tous le soleil à la même heure, où nous dansons tous sur la même chanson. Et ce sont précisément ces moments que nous prenons plaisir à créer à The École.