La rumeur, persistante, raconte que je suis parti me faire bronzer à Marrakech la semaine dernière pendant que vous êtes resté sous la pluie et dans le froid d’un hiver New Yorkais qui semble interminable cette année. Ce n’est pas, bien sûr, complètement exact.
Je vous le disais vendredi, je suis parti à la rencontre, pour la première fois en plus de deux ans, de mes collègues de la Mission laïque française qui fêtait à cette occasion ses 120 ans d’existence. Nous étions plus de 500, réunis à l’Université Internationale de Rabat pour écouter une trentaine d’interventions et participer à une quarantaine d’ateliers sur le thème, très large, du “monde d’après”.
Ce monde d’après c’est bien entendu celui né dans la foulée d’une pandémie dont nous peinons encore à mesurer pleinement les conséquences mais qui a dans l’immédiat fragilisé certains établissements qui se sont vidés, peut-être durablement, de leurs élèves. Ce monde d’après c’est aussi plus prosaïquement l’expression d’une rupture, nécessaire sans doute, entre les objectifs éducatifs d’aujourd’hui et ceux de demain. C’est tout l’enjeu de l’école, qui se doit de donner aux enfants qu’elle forme les outils dont ils auront besoin pour être des adultes en capacité d’agir sur le monde qui sera le leur.
Décider de ces objectifs – et donc faire le pari de ce qui sera essentiel de savoir demain – est une question éminemment politique avec laquelle se débat chaque pays en fonction de son contexte particulier. J’ai eu la chance et le plaisir de dialoguer et d’échanger avec des collèges du Liban, de Palestine, du Togo : leurs problématiques sont bien différentes des miennes ou encore de celles des collègues basés en Espagne ou en Egypte.
Nous sommes pourtant tous mus par les mêmes interrogations et saisis des mêmes doutes : notre rôle en tant qu’éducateur est-il de viser à la future employabilité de nos élèves ? Notre rôle ne serait-il pas de privilégier leur bonheur et de tout faire pour nous assurer qu’ils pourront s’épanouir en tant qu’individus au-delà de leur profession ? Les deux sont-ils fondamentalement contradictoires ? Devons nous renoncer aux savoirs pour nous concentrer sur les compétences ? Et ces compétences, comme le savoir-être, comment pouvons-nous les définir ? Comment enseigne-t-on, par exemple, la résilience, une compétence qui semble faire l’unanimité, à des élèves du primaire ? Et la résilience n’est-elle pas en soi une valeur normative déjà fort politiquement teintée ?
Cela faisait très longtemps que je ne m’étais pas retrouvé dans un amphithéâtre à écouter des conférenciers de haut vol entouré par des collègues inspirants. Très longtemps que je n’avais pas ressenti la force d’une telle intelligence collective et les possibilités qu’elle ouvre, les brèches qu’elle crée et les opportunités qui en découlent. Je suis reparti de Rabat renforcé dans certaines de mes convictions, plus ouvert à d’autres. Confiant surtout que The École, dont la réputation au sein du réseau est immaculée, avance dans la bonne direction et se pose les bonnes questions.
Je reviens donc de ce voyage revigoré. Un peu comme si, finalement, j’étais parti me faire bronzer quelques jours à Marrakech.