Mon bureau au bâtiment de l’élémentaire et du collège se trouve au 2ème étage et donne directement sur la cage d’escalier. Hier, un petit garçon qui passait par là s’arrête dans l’embrasure de ma porte, entre timidement et me confie qu’il ne va pas trop bien parce qu’il a perdu sa gourde voilà près de deux semaines. Verte en bas et silver en haut, enfin métal, et grande à peu près comme ça. Deux semaines ? Oui je crois. Et non, aucune idée – par contre elle n’est pas dans le préau, j’ai regardé. L’affaire est sérieuse.
Comme pour tout ce qui requiert mon immediate attention, je consigne les détails dans un cahier – une habitude chipée à ma toute première chef à Shanghai, Evelyne, et jamais perdue depuis: le nom de la personne avec qui je parle, la date, le sujet et les points évoqués qui me semblent importants. En voyant mon cahier, bien rempli de notes et de gribouillis, le petit garçon s’étonne qu’autant d’autres enfants soient déjà venus me dire qu’eux aussi avaient perdu leur gourde. Remarque, c’est normal tu es le directeur de l’école. Ce n’est pas faux – et d’ailleurs au moment même où j’écris ces lignes on m’appelle à la rescousse pour pister un doudou égaré. Gris et blanc, avec les yeux bleux.
C’est que j’en vois des enfants passer devant mon bureau le matin- ils ne viennent pas tous me voir, certains se contentent d’un signe de la main, d’autres pas encore bien réveillés font comme si je n’étais pas là. Je m’attache autant que possible à leur dire bonjour à toutes et à tous. Une chose qui me fascine et dont je ne me lasse pas, c’est la manière souvent théâtrale qu’ont les enfants de monter les escaliers. Une telle avance très lentement comme si elle conservait son oxygène pendant la montée de l’Everest. Un tel semble vouloir enjamber les marches quatre à quatre avant de réaliser que cela fait quand même beaucoup. Une telle s’aide de ses mains – pourquoi pas ? Un autre encore s’arrête avant la montée, contemple sans un mot le chemin à parcourir et se concentre comme s’il allait affronter un ennemi féroce. Une jeune fille se sert de la rampe comme d’une barre dans un studio de danse pour effectuer quelques gestes gracieux. Ca pivote, ça virevolte, ça sautille
Bref, les enfants, me dis-je. Ils sont tous uniques et je m’apprêtais donc à vous écrire une lettre sur le monde merveilleux de l’enfance, le pouvoir de l’imagination, le devoir qui est le mien en tant que directeur – en plus, cela va de soi, de retrouver des gourdes et des doudous – de faire en sorte qu’ils puissent apprendre à ne pas se soucier du regard des autres, à continuer longtemps à faire ce que bon leur semble, à s’exprimer comme ils le souhaitent et vivre leur vie selon leurs propres termes.
Et puis, hier soir, vers 23 heures an MoMath, un peu fatigué, j’ai pris du recul et soudain vu la piste de danse pleine de vous tous, parents, professeurs, amis de The École et pas un enfant en vue. Vous bougiez tous et toutes à votre propre rythme, certains avaient les mains en l’air quand d’autres regardaient leurs chaussures, certains chantaient à tue-tête quand d’autres serraient les poings les yeux fermés. Ça pivotait, ça virevoltait, ça sautillait.
Et je me suis promis à ce moment-là de vous épargner les clichés sur la géniale candeur des enfants et la beauté qu’ils confèrent à toute chose.
Hier soir c’était vous tous qui étiez beaux.